Point historique
Lorsque la Corvette C6 sort en 2005, elle marque une grande étape. Elle devient un peu plus européenne sur le plan technique et en termes de finition, pour venir concurrencer Porsche ou Ferrari. Cependant, les attentes des clients évoluent rapidement, la technologie progresse et la C6 commence à paraître un peu ancienne sur certains points. En 2008, General Motors lance l’étude de la future génération de Corvette, la C7. Objectif affiché : propulser l’icône américaine dans la décennie 2010 avec un design plus agressif, une allure modernisée et une image encore plus désirable. Bob Lutz, longtemps figure incontournable du développement produit chez General Motors, n’avait que peu de patience pour les propositions de design trop sages. Pour lui, une nouvelle Corvette ne devait pas se contenter d’être une simple évolution de la génération précédente. La C7, insistait-il, devait incarner une rupture suffisamment forte pour pousser un propriétaire de C6 à vouloir l’échanger sans hésitation.
Derrière ses lignes tendues et son identité marquée, une équipe de designers a façonné en deux ans les traits définitifs de l’icône américaine. À la tête du dessin extérieur, Hwasup Lee signe les esquisses finales, épaulé par son équipe. Mais l’orchestration générale revient à Kirk Bennion, directeur du design pour la C7, sous la supervision de Tom Peters, patron du design Corvette. Peters n’en était pas à son coup d’essai. Déjà impliqué dans la C6, il connaissait parfaitement l’ADN du modèle. Mais son parcours portait aussi la trace de projets plus controversés, comme la Pontiac Aztek. De quoi nourrir les attentes : concilier la tradition Corvette avec une dose assumée d’audace stylistique.
Sur le plan technique, architecture en aluminium renforcé et adoption du nouveau V8 small block LT1 au programme. L’équipe obtient le feu vert pour le design définitif et les choix stylistiques majeurs : feux arrière trapézoïdaux, quadruple sortie d’échappement centrale, surfaces plus anguleuses. Le nom Stingray est lui aussi confirmé. Dès lors, la voie est tracée : l’équipe enclenche la préparation de la présentation officielle. Dévoilée dans sa version définitive le 13 janvier 2013 au Salon de Detroit, la Corvette C7 marque le retour d’une appellation mythique : Stingray, disparue du catalogue depuis 1976. Les premières unités de cette version ont été produites et livrées dès la fin de l’année.
La gamme C7 a ensuite été déclinée en plusieurs variantes, chacune occupant un positionnement clair entre usage quotidien et performance sur circuit : Stingray, Grand Sport, Z06, puis, au sommet, la redoutable ZR1. Présentée au public lors du salon de Detroit 2014, la Z06 a rejoint le marché l’année suivante, en 2015, confirmant la volonté de Chevrolet d’ériger la Corvette en véritable rivale des références européennes. Par tradition, le badge Z06 désigne la Corvette taillée pour la performance sans être la plus radicale. Avec la C7, Chevrolet a franchi un cap. Plutôt que de se limiter à une évolution du V8 atmosphérique, la Z06 adopte un bloc profondément transformé, équipé pour la première fois d’un compresseur d’origine. Une orientation résolument sportive qui place la Z06 en concurrence directe avec des supercars valant deux à trois fois son prix.
L’exception américaine
En cette fin du mois de Septembre, par un temps frais et gris, je me trouve au bord d’un plan d’eau. Les lieux sont presque déserts, hormis un jeune qui hisse son kayak hors de l’eau. Au loin, le grondement mélodieux d’un V8 américain se rapproche. Et soudain, dans la grisaille, surgit le rouge éclatant “Torch Red” de la Corvette C7 Z06 de mon ami, passionné invétéré de belles américaines. Je vous avais présenté cette Corvette pour la première fois en 2021, à mes débuts sur les réseaux. C’était ma toute première américaine, elle m’a tellement surpris que j’en ai parlé à plusieurs reprises par la suite. Et me voilà de nouveau à ses côtés. Pour vous emmener en enfer ? Non, ce n’est pas vraiment mon style… mais pour la Corvette, mieux vaut rester sur vos gardes !
Je débute ma présentation par un tour du propriétaire en attaquant par l’avant, face à cette proue évoquant un redoutable poisson marin : le Stingray ! Un hasard étonnant ? Pas vraiment, puisque la version classique de la C7 arbore à nouveau ce nom mythique. Le capot en carbone est assez long, nervuré avec un bossage et une énorme prise d’air centrale, ce qui souligne le caractère radical du moteur qui se cache dessous. Les phares, acérés, effilés comme le regard d’un rapace, s’étirent vers les ailes élargies. La grande prise d’air noire qui s’étire sur le bouclier, tranche avec l’éclat de la carrosserie. Elle incorpore des écopes de freins. Sur la partie inférieure, on retrouve une jolie lame en carbone, spécifique à cette version.
Je longe ensuite son profil. La ligne de caisse est basse, les ailes musclées et saillantes ne dissimulent rien de leur agressivité. L’œil est attiré par les ouïes latérales sur les ailes griffées de l’insigne Z06 Supercharged. Les jantes noires multi-branches de 19 pouces à l’avant et 20 pouces à l’arrière laissent apparaître des étriers de frein rouges qui ajoutent une touche de brutalité assumée. Le système de freinage est composé de disques ventilés percés en carbone céramique, 394 mm à l’avant, mordus par des étriers à 6 pistons, et de 387 mm à l’arrière, mordus par des étriers à 4 pistons. Les rétroviseurs, au style anguleux typiquement américain, intègrent des répétiteurs de clignotant très discrets. Le bas de caisse s’habille également d’une lame en carbone. Les écopes pour les freins à l’arrière sont situées juste derrière les portières. Au sommet des ailes, on retrouve une prise d’air qui sert au refroidissement du radiateur de boîte et de celui du pont. La trappe à carburant est située juste à côté de l’encoche pour la poignée électrique de la portière conducteur.
Enfin, je termine à l’arrière. Large, campée, elle impose. Les quatre sorties d’échappement centrées, comme des canons alignés, annoncent une sonorité à réveiller tout un quartier. Le becquet noir massif et saillant est riveté, il plaque littéralement la voiture sur le bitume à haute vitesse. Les feux arrière anguleux possèdent une signature lumineuse immédiatement reconnaissable et agressive. Entre les deux, le logo Corvette trône fièrement. Le coffre, accessible électriquement via un bouton caché au-dessus de la plaque d’immatriculation, offre un volume généreux de 593 litres. Sa profondeur est limitée par la boîte, le pont et le système de refroidissement qui y est rattaché. Fidèle à sa configuration Targa, le toit se retire pour se loger directement dans le coffre en limitant considérablement son volume. Conçu en carbone, il reste léger et maniable, ce qui permet de le manipuler facilement en solo grâce à un mécanisme simple et intuitif. À noter que les éléments en carbone, lames, capot et toit, ne sont pas de série sur toutes les Corvette Z06. Ils font partie des packs optionnels Z51 et/ou Z07.
Pendant que j’étais à l’arrière, mon ami s’amuse à me surprendre en démarrant la voiture à distance avec la télécommande. Effet de surprise garanti ! Cette fonctionnalité est une exclusivité propre aux américaines, car apparemment non homologuée sur le vieux continent. Pour les modèles équipés, il faut appuyer deux fois sur le bouton de verrouillage, puis maintenir enfoncé le bouton situé juste en dessous, celui avec la flèche rotative. Cependant, impossible de démarrer et de partir directement : il reste nécessaire d’appuyer sur le bouton de démarrage avec la télécommande dans l’habitacle pour pouvoir avancer.
Maintenant, intéressons-nous au moteur. Le capot s’ouvre à l’envers, depuis la baie de pare-brise. Une fois ouvert, la première chose qui saute aux yeux, c’est le logo Z06 superposé sur celui de Corvette, qui est présent sur l’isolation du capot. C’est une très belle attention. Le V8 suralimenté trône fièrement, dévoilant sa silhouette massive et ses composants haut de gamme. Ce moteur, fruit de l’ingénierie de General Motors, est une évolution du LT1, optimisé pour offrir des performances exceptionnelles tout en maintenant une compacité remarquable. Il succède au moteur LS9 de la C6 ZR1 et précède le LT5 de la C7 ZR1. Le LT4 est un moteur V8 de 6,2 litres à bloc en aluminium, équipé d’un compresseur Eaton R1740 TVS, qui lui permet de délivrer une puissance de 659 chevaux à 6 400 tr/min et un couple de 881 Nm à 3 600 tr/min. Le bloc moteur et les culasses sont en aluminium Rotocast A356T6, assurant légèreté et résistance. Les pistons, les bielles et le vilebrequin en acier forgé sont capables de supporter les contraintes de la suralimentation et des régimes élevés. Le moteur intègre l’injection directe, la distribution variable continue (VVT) et la gestion active du carburant (désactivation des cylindres). Sa conception s’inspire des enseignements tirés de la compétition. Il peut être associé à une boîte manuelle ou à une boîte automatique, les deux étant à 7 rapports.
J’ouvre la portière avec la poignée électrique cachée. Les seuils de portes arborent l’inscription Corvette accompagnée du double drapeau, tandis que le bas de caisse en carbone apparent offre une touche esthétique appréciable. Dès l’instant où je glisse dans les sièges, l’habitacle m’accueille comme un cockpit d’avion de chasse : tout semble orienté vers moi. Les sièges baquets confortables, revêtus d’un cuir Nappa noir et de microsuède, offrent un bon maintien. Je sens que je peux avaler les kilomètres sans fatigue. L’intérieur est un savoureux mélange de cuir étendu et d’alcantara, avec des touches de carbone qui soulignent l’esprit sportif. Jusqu’aux plus petits détails, le rétroviseur central sans bordures et les pare-soleil en alcantara ajoutent une belle note d’élégance. Même si quelques plastiques trahissent l’origine américaine, l’ensemble respire la qualité et le soin du détail.
Face à moi, le volant multifonction à méplat, recouvert d’alcantara et orné de palettes en aluminium rouge évoque immédiatement la sportivité. Une touche de carbone avec le logo Z06 sur la branche inférieure renforce ce sentiment. Le combiné d’instruments, mi-analogique mi-numérique, affiche trois compteurs à aiguilles : un tachymètre gradué jusqu’à 360 km/h, une jauge d’essence qui pourrait presque suivre le rythme du moteur et la pression de suralimentation du compresseur. Au centre, l’écran personnalisable me permet d’afficher exactement les informations que je veux : régime moteur, température d’huile, vitesse digitale, pression des pneus, température d’eau… un vrai tableau de bord sur-mesure. Grâce à la molette implantée sur le tunnel central, le conducteur peut choisir entre plusieurs modes de conduite : Weather, Eco, Tourism, Sport ou Track. Chacun d’eux propose une présentation de compteur spécifique, adaptée à l’usage. Le petit secret, c’est qu’en appuyant sur deux fois au centre de la molette en étant en mode Track, il y a cinq sous-modes : Wet, Dry, Sport 1, Sport 2, Race. Lorsqu’on active l’un de ces sous-modes, les voyants « TC off » et « ESP off » s’allument pour signaler la désactivation des aides à la conduite. La désactivation des aides est déconseillée par Chevrolet sur route ouverte.
- L’habitacle de la Corvette C7 Z06
- Les sièges de la Corvette C7 Z06.
La console centrale, orientée vers le conducteur, concentre toutes les commandes essentielles : climatisation et chauffage, ventilation ou chauffage des sièges, et même un petit écran tactile pour le passager sous sa buse de ventilation. Les molettes, boutons et commandes tombent parfaitement sous la main. Le combiné est ergonomique. Sous les commandes centrales, une discrète plaque gravée rappelle l’ADN de la Z06, affichant fièrement ses chiffres clés : 659 chevaux et 881 Nm de couple. L’écran central est escamotable afin de dévoiler un ingénieux espace de rangement. En Amérique, un Glock pourrait presque s’y glisser mais en France, on se contentera sagement d’y ranger notre téléphone ou notre portefeuille. L’affichage tête haute, précis et clair, projette les informations vitales directement dans mon champ de vision.
Fast and Furax
Pour le démarrage, elle est équipée d’un système Keyless, donc il suffit juste de mettre le pied sur la pédale de frein et appuyer sur le bouton de démarrage argenté. Le moteur gronde et glougloute, fidèle à l’esprit des américaines. Le ralenti rappelle les vieux muscle cars, avec un son de percussions continues et sourdes. Sur les premiers kilomètres, ce moteur reste très accessible. Les changements de rapports de la boîte automatique s’effectuent en douceur, et l’accélérateur semble facile à maîtriser. En zone urbaine, l’allure de la Corvette impose le respect. Les regards se tournent, curieux et admiratifs. À première vue, la voiture paraît plutôt simple pour la ville, mais son rayon de braquage et sa visibilité limitée peuvent compliquer les manœuvres.
- Les jantes et le système de freinage de la C7 Z06.
Sur les routes hors agglomération, la suspension magnétique joue un rôle clé. Selon le mode sélectionné, le comportement se transforme radicalement : en « Eco », elle gomme les aspérités et assure un confort inattendu ; en « Track », elle plaque littéralement la voiture au bitume, même sur les changements brusques d’adhérence. Elle ne prive jamais du ressenti : chaque virage, chaque ondulation de la route est perceptible, transmis avec clarté. Dans un rythme de balade, elle se montre facile à conduire et peut enchaîner les kilomètres sans difficulté. Grâce à la gestion active du carburant, il est possible de désactiver un banc de cylindres pour ne rouler qu’avec quatre, réduisant ainsi la consommation. Les divers modes de conduite influencent la réaction de l’accélérateur, la sensibilité de l’ESP et du différentiel, ainsi que la fermeté du volant.
A l’approche d’un virage, une pression progressive sur la pédale de frein révèle un freinage puissant, endurant, facile à doser. Les routes secondaires sont parfaites pour voir toutes les qualités du châssis. La répartition des masses est de 49/51, grâce au positionnement de la boîte à l’arrière et du moteur en position avant. C’est excellent, particulièrement pour une américaine si l’on remet cela dans le contexte de l’époque. Dans les enchaînements de virages, la voiture vire à plat et dans les plus serrés, elle reste parfaitement maniable. La remontée d’informations dans la direction est bonne en plus d’être ultra précise.
C’est une voiture qui fait exactement ce qu’on lui demande. Conduite proprement, elle s’accroche littéralement à l’asphalte et enchaîne les virages à une vitesse stupéfiante. Malmenée volontairement, elle accepte volontiers de dériver. Au choix ! Plus sérieusement, à moins d’être provoquée, la Corvette reste d’une motricité exemplaire. Elle s’éloigne du concept brut de muscle car pour s’affirmer comme un savant mélange entre GT, sportive et supercar, sans jamais renier ses origines.
Une voie rapide est non loin d’ici. Lors de l’insertion, le souffle du compresseur se fait sentir, puissant, omniprésent. L’accélération est fluide, trompeusement douce au départ, avant que le V8 ne libère sa furie. Les chiffres s’affolent et pourtant, la sensation à bord ne terrifie jamais. Il est inutile de pousser les rapports jusqu’au rupteur : en première à fond, on atteint déjà 110 km/h, et la boîte compte sept rapports au total. Excessivement plein de 800 à 6 500 tr/min, les reprises se feront sans effort tout en nous maintenant fermement collé au siège.
Fidèle à ses origines, à chaque accélération, la sonorité est caverneuse, à peine étouffée par le compresseur volumétrique et tout cela se superpose aux sons de l’échappement. Les vitesses atteintes entre deux villages sont inavouables. Quoi qu’il en soit, il est difficile de mesurer les limites de cette Corvette sur nos routes. Un essai sur piste serait plus approprié. Cependant, difficile de ne pas être séduit. Elle est véritablement surprenante par sa capacité à tout faire : cruiser paisiblement, attaquer une route sinueuse ou potentiellement s’amuser sur circuit avec la même aisance. Sur autoroute, elle devient une GT civilisée, sur piste, une sportive affûtée au tempérament joueur.



















0 commentaires