Au milieu des années 80, le monde du rallye a dû dire adieu à une catégorie légendaire : le Groupe B. À cette époque, Lancia participait au Championnat du monde des rallyes avec la 037, suivie de la Delta S4. Il serait d’ailleurs intéressant d’en parler un jour, car le règlement du Groupe B exigeait la production d’au moins 200 exemplaires, donnant ainsi naissance à une version homologuée pour la route. Après l’interdiction des Groupes B, le Groupe A est devenu la catégorie reine du Championnat du monde des rallyes. Ce nouveau règlement de la FIA imposait des voitures dérivées de modèles de série, produits à un minimum de 5 000 exemplaires. Lancia a vu dans cette réglementation une opportunité de briller, et la Delta est rapidement devenue la base idéale pour cette nouvelle aventure.
La première version qui servira pour l’homologation en 1987 sera la Delta HF 4WD, s’en suivra en 1988, la version HF Intégrale avec un moteur plus puissant et d’autres améliorations techniques. Un an plus tard, la Delta HF Integrale 16V représente une évolution majeure. Comme son nom l’indique, elle adopte une culasse à 16 soupapes. En 1991, une nouvelle version arrive pour répondre aux exigences du Groupe A en rallye tout en étant homologuée pour la route. La Delta HF Integrale Evoluzione 1 est reconnaissable grâce à des voies avant et arrière élargies, un spoiler arrière redessiné et des prises d’air supplémentaires. La Evoluzione 2, dernière version homologuée pour la route, voit le jour en 1993.
Ultima Evoluzione
Le ciel est lourd, chargé de nuages gris, le bitume est humide et brille sous l’effet de l’eau, et au centre de cet espace, on rencontre une Lancia Delta HF Integrale Evoluzione 2. Je m’approche doucement, presque avec révérence, et commence à tourner autour d’elle, détaillant chaque ligne, chaque courbe. Avec sa carrosserie carrée et anguleuse signée Giugiaro, elle est reconnaissable au premier coup d’œil, surtout dans ses déclinaisons Integrale qui disposent d’ailes élargies. La première chose qui frappe, c’est sa couleur. Ce jaune vif, baptisé « Giallo Ginestra », semble presque irréel sous cette lumière grise. C’est une teinte rare, unique, produite sur seulement 220 exemplaires. Elle attire inévitablement le regard, comme un phare dans la nuit.
Je m’arrête devant elle, face à son avant imposant. Le capot remodelé, légèrement bombé, donne une impression de puissance contenue. Les doubles optiques lui confèrent un regard agressif, presque animal. La calandre arbore du chrome, et un cerclage rouge, ce mélange met l’accent sur la philosophie luxueuse de Lancia et sur l’esprit de compétition du modèle. Sur la partie gauche de la calandre, trône le badge HF avec son éléphant rouge, emblème sportif de la marque.
Abordons le sujet de cet emblème. Le petit éléphant aurait été adopté en 1953 comme porte-bonheur par Gianni, fils de Vincenzo Lancia et PDG de la marque automobile entre 1949 et 1955. Cette décision s’expliquerait par le fait que, une fois lancés, les éléphants deviennent inarrêtables en course. L’image du pachyderme en mouvement, figurant sur le logo HF d’abord en bleu puis en rouge, tirerait en réalité son origine de la mythologie orientale, où l’éléphant est considéré comme un symbole de chance et de victoire, à condition qu’il soit représenté avec la trompe tendue vers l’avant. Le nom HF est apparu en 1960 lors du Salon de l’Automobile de Genève, lorsque des passionnés de la marque ont fondé le club « Lancia Hi-Fi » (Hi-Fi signifiant high-fidelity, en français, haute-fidélité). Ce club exclusif était réservé aux propriétaires ayant acheté au moins six modèles neufs de Lancia. Les initiales HF ont ainsi été apposées sur certains modèles sportifs appartenant aux membres du club, tels que les Flaminia Pininfarina Coupé, Flaminia Sport Zagato et Flavia Coupé. En février 1963, Cesare Fiorio crée le HF Lancia Racing Team, le département compétition du constructeur basé à Turin. Il a alors adopté un emblème distinctif : les lettres HF en majuscules sur fond noir, accompagnées de quatre éléphants rouges en pleine course et de l’inscription « Squadra Corse » en blanc sur fond rouge, placée juste en dessous. La Fulvia Coupé HF est le premier modèle de série à adopter ce logo en 1966.
Je continue mon tour, mes yeux glissant sur les lignes de son profil. Les ailes élargies, formées en une seule pièce, donnent à la voiture une posture musclée, presque intimidante. Les bas de caisse marqués, peints dans la même couleur que la carrosserie, renforcent cette impression d’agressivité maîtrisée. Petit fun fact, le clignotant latéral rond est le même que celui d’une Ferrari 348. On retrouve le logo Lancia sur le montant qui sépare les deux portières, signature de la marque sur les modèles de cette époque. La trappe à carburant ronde, en aluminium, vient accentuer son caractère sportif. Les jantes en alliage léger de 16 pouces sont à la fois élégantes et fonctionnelles. Sous la pluie, elles brillent légèrement, comme si elles attendaient de mordre l’asphalte. Je remarque également la largeur des pneus, qui accentue encore l’impression de puissance brute. On devine derrière le dessin des jantes, le système de freinage, composé de disques ventilés de 281 mm mordus par des étriers à 2 pistons à l’avant et de disques pleins de 251 mm mordus par des étriers mono piston à l’arrière.
Une fois à l’arrière, je ne peux m’empêcher de sourire. L’aileron, subtilement intégré, donne une touche finale à cette silhouette déjà parfaite. Ce dernier est réglable en inclinaison. Les feux arrière, simples mais efficaces, se marient parfaitement avec les lignes anguleuses de la carrosserie. Et là encore, le badge « Integrale » rappelle qu’il ne s’agit pas de la voiture de Monsieur tout le monde, mais d’une légende née pour la victoire.
Je fais un pas en arrière pour l’admirer dans son ensemble. Elle semble presque vivante, prête à bondir. Difficile de dire que c’est une reine de beauté avec son physique assez brut, mais je pense que la combinaison de nos souvenirs, de l’euphorie de ses succès en compétition et d’une bestialité à l’état pur lui donne un look et une âme tout simplement irrésistibles.
En ouvrant le capot, je me retrouve face à une pièce d’histoire automobile, un moteur conçu pour dominer les routes et les spéciales de rallye. La première chose qui saute aux yeux, c’est le couvre-culasse rouge avec l’inscription « Lancia Turbo 16 Valve ». Le moteur 4 cylindres en ligne de 2 litres, né sous la direction du célèbre ingénieur italien Aurelio Lampredi, est issu de la Lancia Thema, dont la conception initiale remonte aux années 1960. Initialement conçu pour des modèles plus modestes, ce moteur a été affiné et transformé pour répondre aux exigences des compétitions les plus féroces, notamment le championnat du monde des rallyes où la Delta a marqué l’histoire. La version qui équipe l’Evoluzione 2, lancée en 1993, représente l’apogée de cette évolution. Ce moteur, codé « 831E5 », est équipé d’un turbocompresseur Garrett T3 associé à un intercooler, permettant d’atteindre une puissance impressionnante de 215 chevaux à 5750 tr/min. Le couple, quant à lui, culmine à 314 Nm dès 2500 tr/min, offrant des reprises fulgurantes et une accélération explosive. Avec un rapport volumétrique de 8:1, ce moteur est optimisé pour exploiter pleinement la suralimentation tout en restant fiable. La gestion électronique Magneti Marelli joue un rôle clé, contrôlant l’injection séquentielle multipoint et le fonctionnement du turbo pour garantir des performances constantes. Ce moteur est également équipé d’un catalyseur à trois voies, une avancée notable pour l’époque, qui permet de respecter les normes environnementales sans sacrifier la puissance. Chaque détail, de la culasse en alliage léger au bloc en fonte, témoigne d’un équilibre parfait entre robustesse et performance.
En refermant le capot, je ne peux m’empêcher de penser à l’héritage de ce moteur. Né d’un modèle de série, perfectionné par l’expertise de Lampredi et les ingénieurs de Lancia, il est devenu une légende, un symbole de l’âge d’or des voitures de rallye. Dès que j’ouvre la portière, je suis accueilli par une ambiance qui respire la sportivité et l’élégance de cette époque. Les sièges Recaro, enveloppants, sont habillés d’une superbe sellerie en Alcantara noire, agrémentée de coutures jaunes contrastantes. Les contre-portes, la moquette et le ciel de toit reçoivent le même traitement. Ce détail, subtil mais percutant, rappelle la teinte extérieure Giallo Ginestra et donne une continuité visuelle harmonieuse. En m’asseyant, je ressens immédiatement le maintien parfait de ces sièges, conçus pour les virages serrés et les accélérations franches. En explorant les équipements, je découvre quelques touches de confort bienvenues. La climatisation est présente, tout comme un système de freinage ABS, qui était encore une innovation notable à l’époque.
- Habitacle de la Delta HF Evo 2
- Sièges de la Delta HF Evo 2
- Habitacle de la Delta HF Evo 2
Face à moi, le tableau de bord est un véritable clin d’œil à une époque où tout était pensé pour le conducteur. En matière plastique, il arbore un design très anguleux, mais il est ergonomique. On ne tombe pas vraiment sous le charme mais ça correspond à ce qui se faisait à l’époque, en particulier chez les constructeurs italiens. Le volant Momo Corse à trois branches, sans airbag, offre une prise en main ferme et directe en étant parfaitement positionné. Derrière lui, comment ne pas succomber devant l’instrumentation Veglia Borletti dont les différents compteurs et jauges affichent leurs inscriptions en jaune ? Le compteur de vitesse et le tachymètre dominent, mais ce sont les jauges supplémentaires qui attirent mon attention : pression du turbo, batterie, carburant, température de l’eau. Tout est là, prêt à me transmettre chaque information cruciale pour une conduite engagée.
Championne des Rallyes
Je tourne la clé pour mettre le contact. Les voyants du tableau de bord s’allument brièvement, comme une symphonie lumineuse. C’est un véritable voyage dans le temps, et quel plaisir, c’est tellement mieux que tout ce qu’on connaît aujourd’hui avec le digital. Puis, vient le moment tant attendu du démarrage. Le moteur s’ébroue dans un grondement rauque et puissant, une signature sonore qui fait directement référence au monde du rallye. Il prend vie avec une vigueur presque animale. Le bruit est brut, authentique. Je ressens chaque vibration à travers le volant et le siège. C’est comme si la voiture me parlait, me disant qu’elle est prête à conquérir la route.
Dès les premiers instants, je me sens à l’aise et l’ambiance à bord me charme tel le chant des sirènes. Avantage d’une voiture pas trop ancienne, elle est relativement facile à prendre en main. La position de conduite est idéale. Les pédales sont bien alignées, et le levier de vitesses tombe naturellement sous ma main droite. Je remarque également que la visibilité est étonnamment bonne pour une compacte sportive de cette époque. Les montants ne gênent pas trop, et les grandes surfaces vitrées permettent de bien appréhender les alentours. Après plusieurs kilomètres, elle peut sembler légèrement pataude à bas régime. Je vérifie ensuite les instruments de bord : tout est dans le vert. La pression d’huile est bonne, la température commence à monter doucement. Je sais qu’il est crucial de laisser le moteur chauffer avant de le solliciter, alors je prends mon temps.
Dans le secteur où je suis, le châssis et la direction me signalent le moindre changement dans la qualité du revêtement du bitume, la rigidité de l’ensemble rappelle prudemment ses origines. Dès que les jauges d’huile et d’eau m’annoncent que c’est bon, on peut envoyer la sauce. Je profite d’une ligne droite dégagée sur un axe secondaire pour mettre pied au plancher. Le turbo dispose d’un temps de réponse assez court et le coup de pied au cul est des plus appréciables. La Delta marche fort, très fort, ça gronde, ça siffle, ça siffle le plus fin des concerts de musique classique mécanique. Les rapports sont bien guidés et se verrouillent bien, plaisir maximum. Au bout de cette ligne droite, c’est le moment idéal pour tester le freinage, qui est bon pour ce premier essai mais qui est peu endurant.
Je me dirige ensuite vers une portion un peu plus sinueuse. Son terrain de jeu favori, c’est les petites routes de campagne. Je me sens de plus en plus en confiance avec la voiture et je profite pleinement de cet essai. Les enchaînements de virages se font avec une facilité déconcertante. Les 4 roues motrices disposent d’une répartition à 47% sur l’avant et 53% sur l’arrière. Je peux vous dire qu’elle fait preuve d’une tenue de route bluffante avec aucun mouvement de caisse, elle vire à plat et on ressent vraiment l’efficacité de la voiture. Ça lui permet des vitesses de passage en courbe assez impressionnantes. On comprend alors mieux les prouesses sur la terre ! Je découvre l’univers de la Lancia Delta et je comprends pourquoi la réputation n’est plus à faire. Sur route ouverte, c’est un véritable missile en virage, on ne peut qu’imaginer les prouesses sur terre et comprendre son succès en rallye. Elle est vraiment à son aise en terrain sinueux où son agilité fait merveille. Les sensations sont au rendez-vous et plus ça tourne, plus ça lui convient. Pour un amoureux comme moi des voitures à sensations fortes, le plaisir en virage est beaucoup plus fun que de simplement accélérer en ligne droite. Molto bene !
C’est extrêmement addictif, et le meilleur, c’est qu’elle peut cacher complètement son tempérament sportif en dessous de 3500 tours. Pas de bruits excessifs, juste une sportivité saine et pure, elle devient ainsi un agréable pour une virée tranquille pendant le week-end. Pour un usage quotidien, elle sera probablement un peu trop virile pour être excellente en ville ou pour des manœuvres. Sur la route du retour, c’est l’heure d’un dernier petit plaisir pour faire le point sur les performances avec un 0 à 100 km/h en 5,7 secondes, ce qui permet d’abattre le 1000m en 26,1 secondes pour une vitesse maximale de 220 km/h.
Devenir propriétaire d’une Delta HF Intégrale Evo
Pour la carrosserie, en tant que bonne italienne, elle rouille si elle dort dehors, notamment au niveau de la baie de pare-brise et de la lunette arrière. Certains exemplaires peuvent souffrir de la corrosion au niveau de la jupe arrière à cause de fuites répétées du bocal à lave-glace implanté dans le coffre. Enfin, les éléments spécifiques ne se trouvent plus. C’est le cas des ailes en acier, mais aussi des boucliers en matériaux composites. Malgré la présence d’ailes élargies, elle adopte la coque en acier de la petite Delta, ce qui peut poser problème tant la mécanique est ici poussée. La monte de jantes plus généreuses, ou d’amortisseurs plus fermes a pour effet de fissurer la structure de la caisse. Seule parade : poser une barre anti-rapprochement. D’où la nécessité de laisser la voiture d’origine. Lancia a discrètement mis en place des renforts sur les triangles avant des modèles 91 et 92 lors des opérations de maintenance en atelier. Ainsi, un modèle sans renfort n’a pas été suivi par le réseau. Les amortisseurs d’origine, bien calibrés (bon compromis entre sport et confort) sont chers à remplacer : 1070 € par train. Enfin, le freinage à disques est performant, mais peu endurant. Le prix de ces périssables reste néanmoins acceptable (485 € la paire de disques avant et 315 € le jeu de plaquettes, pose comprise).
Dans l’habitacle, les matériaux utilisés sont fragiles. Le plastique qui recouvre la planche de bord peut ainsi se fissurer sous le soleil. Quant au ciel de toit, il a tendance à se décoller avec le temps. Le plus gros souci demeure l’électricité, jugée fantaisiste. Il existe une parade, recommandée vivement par les utilisateurs : changer tous les capteurs pour repartir sur des bases saines, ce qui revient à 690 € environ.
La mécanique a très mauvaise réputation et fait peur, mais bien entretenue, sachez-le, elle peut être fiable. Cela impose un strict respect de la mécanique et de trouver un bon spécialiste pour s’en occuper, ce qui est rare. Les temps de chauffe sont indispensables pour que l’huile, de haute qualité (10W40), lubrifie parfaitement les pièces mobiles, mais aussi les temps de refroidissement, pour permettre au turbo de baisser en température après avoir été sollicité. Pour les vidanges, l’idéal est de les faire tous les 5 000 km, en même temps qu’une révision complète (380 € chez un spécialiste). Il faudra procéder au changement des deux courroies de la distribution (une assure l’équilibrage) tous les 3 ans ou 30 000 km maxi. Comptez 2 350 € environ, le moteur pouvant rester en place pour cette opération. Bien sûr, avant d’acheter, un essai s’impose : la pression d’huile, à froid, doit être au minimum de 6 bars, et une fois la mécanique al dente, il ne doit pas y avoir de fumées blanches ou bleues à l’échappement. Sinon, joint de culasse à changer et, dans le second cas, soupapes défectueuses.
La transmission intégrale est tellement efficace qu’elle consomme du pneu (205/45 R16) : la longévité sur route n’excède pas les 10000 km et il faut remplacer les quatre d’un coup (540 €). À cette occasion, un réglage du parallélisme s’impose (115 € environ). Elle adopte une boîte mécanique très bien guidée et étagée à 5 rapports, dotés de verrouillages fermes. Bien sûr, les démarrages canons sont à proscrire, l’embrayage faisant alors office de fusible. Cela étant, son remplacement reste abordable (850 € avec la main d’œuvre et la pompe à eau, à changer en même temps). Le plus gros souci est que le train épicycloïdal de la boîte peut se dessertir, ce qui entraîne la casse totale de celle-ci, dont on ne trouve plus les pièces ! Si par chance vous parvenez à les trouver, comptez 2 140 € environ de remise en état.
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